Les sigles à Alger
 

Je ne sais trop si vous vous souvenez de la manie typiquement algéroise, voire algérienne de l’époque, d’utiliser les sigles. Outre que nous allions payer l’électricité et le gaz à l’"E.GA" (Électricité et Gaz d’Algérie), encore pour cela fallait-il prendre le tram, le trolley ou le bus des C.F.R.A (il fallait prononcer Céféra ) ou encore les trams des T.A. Et les dimanches sportifs offraient l’occasion de joutes homériques entre clubs de basket, foot ou volley. Alors là il y avait littéralement profusion de sigles. On était supporter de l’A.S.S.E ou de l’O.H.D. Et chacun savait qu’il s’agissait de l’Association Sportive de Saint-Eugène, qui rencontrait l’Olympique d’Hussein Dey. Seuls quelques " patos " égarés devaient se renseigner pour en savoir plus long. Lors de ma première intervention dans la bosse du chameau, j’ai moi-même évoqué les rencontres de volley-ball, qui se disputaient entre les frères ennemis de la Côte Turquoise, qu’étaient l’O.D.M (Deux Moulins) et l’O.C.T, l’Olympique Côte Turquoise, le club des Bains Romains. Aucun d’entre vous ne m’a posé de questions, tout le monde savait. Les classements de FootBall, qui paraissaient dans les journaux d’Alger, ne comportaient que des sigles. Seuls les plus avertis savaient ainsi que le F.C.B était le club doyen et représentait la cité des roses : Blida. Le G.S.A dissimulait le Gallia Sport d’Alger et le G.S.O, le Groupement Sportif d’Orléansville. Cela se compliquait un peu du côté de la Mitidja avec le glorieux club de Mouzaïaville, qui arborait le joli sigle suivant : U.S.O.M, qui voulait dire Union Sportive de l’Ouest Mitidja. Nous avions aussi notre O.M en l’Olympique de Marengo, qui disputait le derby précisément avec l’U.S.O.M. Pas très loin il fallait compter avec l’A.S.B, club mythique de Boufarik aux belles couleurs de l’Inter de Milan : bleu et noir. Du côté de Bab el Djid, le grand marché populaire des bords de l’Harrach, régnait en maître le tout aussi glorieux R.C.M.C, qui n’était autre que le Racing Club de Maison Carrée. Ce dernier arborait un magnifique maillot à damiers rouge et noir. À Guyotville qui devait son nom au comte Eugène Guyot, le club vedette était le S.G ou Stade Guyotvillois. Et les algérois du centre ville se disputaient l’honneur d’être supporters du R.S.A (Red Star Algérois), du G.S.A déjà cité et du très distingué R.U.A (Racing Universitaire Algérois). Les clubs à inspiration musulmane ne cédaient rien aux autres clubs sportifs et le M.C.A n’était autre que la star des foules musulmanes : le Mouloudia Club d’Alger. Il était concurrencé par l’U.S.M.B, l’Union Sportive Musulmane de Blida, qui disputait le derby blidéen au F.C.B. Et à Saint-Eugène, qui devait aussi son nom au Comte Eugène Guyot, il y avait l’O.M.S.E, l’Olympique Musulman de Saint-Eugène. Le plus glorieux fût sans doute l’espace d’un match de coupe de France le S.C.U.E.B, que l’Équipe, le grand journal des sports, appela plus simplement " El Biar ", parce qu’il s’agissait bien du club de la banlieue des hauts d’Alger. Pour ceux qui s’imaginent que j’essaie de passer à côté de la traduction, je la donne bien sûr, c’était le Sporting Club Unioniste d’El Biar. Ce petit poucet du Foot avait tout simplement éliminé de la Coupe de France le très prestigieux Stade de Reims, finaliste malheureux de la première Coupe d’Europe, devenue depuis " Champions’League ". Les Kopa, Fontaine, Penverne, Marche et Jonquet étaient passés à la trappe devant les yeux médusés d’Albert Batteux, l’entraîneur des Champenois. Taberner, Buffard, les deux buteurs, et Zitouni l’arrière central  du S.C.U.E.B étaient passés par là. Du côté de Belcourt, on trouvait aussi un S.C.E.B, c’est vous dire s’il fallait s’accrocher pour y discerner autre chose que du bleu. Pour les plus snobs de nos bourgeois d’Alger, il était de bon ton de jouer au Volley-Ball, au Hockey ou au Tennis au très chic G.S.A.H, ou Groupement Sportif d’Alger Hydra. Bien entendu le gratin médical de l’antique El Djézaïr se devait de faire de l’Aviron au R.C.A ou au Y.C.A. Entendez le Rowing Club d’Alger ou le Yacht Club d’Alger.
Les jeunes bourgeois branchés ne pouvaient décemment pas éviter de se baigner à la piscine du R.U.A, joliment nichée sur un des quais du port. Elle imposait d’ailleurs un passage par navette pour l’atteindre et profiter d’une eau de mer.
Rassurez-vous nos bons amis oranais ne cédaient en rien aux modes algéroises et opposaient à nos clubs de FootBall le quasi invincible S.C.B.A aux belles couleurs marseillaises, qui bien sûr représentait la Mecque de la Légion Étrangère : Sidi Bel Abbés. Donc il faut lire le Sporting Club de Bel Abbés. La G.M.O (Glorieuse Marine Oranaise), la J.S.S.E (la Jeunesse Sportive de Saint-Eugène), le G.C.O (Gallia Club d’Oran), le M.C.O (Mouloudia Club d’Oran), le C.J.O (le Club des Joyeusetés d’Oran), l’A.S.O (l’Africa Sport d’Oran), et j’en oublie sûrement, permettaient aux oranais de vivre des derbies locaux et d’envoyer aussi leurs jeunes sportifs disputaient le " leadership " à ceux de la " Capitale ".
C’était le bon temps et j’espère que ce retour, un rien nostalgique à une époque enfouie au plus profond de nos mémoires, ne vous aura pas trop barbé. Si j’osais, avec la conscience d’être un tant soit peu hors sujet, je vous demanderais de vous souvenir des quatre journaux d’Alger, qui nous abreuvaient de ces sigles sportifs. Il y avait l’ « Écho d’Alger » de M. Alain de Sérigny, " Alger Républicain " organe fidèle du P.C.A et les deux journaux issus de la scission de l’ancienne " Dépêche Algérienne " qu’étaient " Le Journal d’Alger " de M. Blachette, le roi de l’alfa des hauts plateaux algériens et " La Dépêche Quotidienne" avec le charismatique Tony Arbona en responsable des sports. Et bien savez-vous où ces journaux étaient édités pour la plupart ? Non ? Mais voyons à la S.N.E.P bien sûr, boulevard Pasteur. Qu’est que c’est ? Rien moins que la Société Nationale d’Édition de Presse, encore fallait-il le savoir.
Siglement vôtre.

Retour